Départ
Les dernières heures d'un voyage sont toujours les plus pénibles. Pas tout à fait ici, pas encore ailleurs. Mon esprit est dans un no woman's land. Peut-être est-il déjà dans les nuages, en zone internationale?
J'en veux toujours aux pays et aux villes que je quitte de ne pas m'avoir révélé leurs secrets, je les boude de me laisser presque aussi ignorante qu'à mon arrivée.
C'est particulièrement vrai à Amman, que je n'ai pas eu le temps d'apprivoiser. J'ai beaucoup de temps à tuer. Je dois être à l'aéroport à 23 heures. Il est 17 heures au moment d'écrire ces lignes. J'ai visité le hamman, le musée d'archéologie, la citadelle, le souk, une maison d'art contemporain, acheté mes souvenirs... Je suis aussi allée flâner à la terrasse d'un café situé dans une librairie (concept idéal). Bref, j'ai fait tout ce dont j'avais envie, et je ne vois pas comment je vais passer les 6 prochaines heures, d'autant plus que je suis sans abri (ok, j'ai laissé mes bagages à l'hôtel). A faire un blogbilan, peut-être!
LES FRONTIERES
Je n'ai jamais autant pris conscience des frontières, visibles ou invisibles, que durant ce voyage. Voir les pays voisins, et Israël, surtout, est un sport favori ici. D'abord à Quneitra, en Syrie: "Le vert, là-bas, c'est Israël". Ensuite à Naqoura, au Liban: "Tu vois là-bas? C'est Israël." Et en Jordanie. Au mont Nebo: " C'est Jericho là-bas". A la mer morte: " de l'autre côté, c'est Israël".
En Israël, les frontières sont différentes. Frontières invisibles entre l'est et l'ouest de Jérusalem, entre la Cisjordanie et Israël, entre les gens. Tout de même, dans le Golan, on m'a indiqué: " tu vois là-bas? C'est Quneitra, en Syrie".
Et tout ces gens pensent que c'est la seule perspective que j'aurai jamais, aucun ne sait que j'ai tenté de saisir les frontières sous tous leurs angles...
PAIX
Impossible de faire ce voyage sans aborder la question de la paix au Moyen-Orient. Est-elle possible?
Les jeunes rencontrés au kibboutz sont persuadés que non. "Pas de notre vivant, en tous cas", répond le plus jeune du groupe, âgé de 17 ans. " Peut-être une paix froide, avance un autre, comme avec la Jordanie et l'Egypte. Mais c'est trop facile pour les terroristes de venir jusqu'à nous..."
Un chauffeur de taxi juif a réfléchi un moment à ma question avant de me répondre: " tu vois la voiture devant? C'est comme si deux personnes disaient: c'est ma voiture. Alors, qu'est-ce qu'on fait? On coupe la voiture en deux? Et après? Ce n'est juste pas possible."
Pourtant, de l'intérieur, je n'ai pas senti d'hostilité entre les juifs et les arabes musulmans. Dans l'autobus de Tiberias vers Jérusalem, par exemple, il y avait les soldats en arme, les filles voilées, des musulmans et des juifs. On ne sentait pas de tension. A Jerusalem, encore, le chauffeur de taxi juif s'est mis en quête d'un chauffeur de taxi arabe (tu t'en vas à Amman? Avec un taxi arabe sûrement? Je vais trouver un Arabe pour lui demander c'est où...). Il a donc abordé au moins 4 personnes - toujours en arabe, les Israéliens l'apprennent au primaire. Ponctuant ses phrases de "habibi" (mon cher).
Il est vrai par contre que je n'ai pas vu les Territoires et le mur...
AU JOUR LE JOUR
Au Liban, un de mes amis m'a expliqué que les Libanais ne prévoient jamais rien à l'avance. " Pas plus d'une semaine." Pourquoi? " Parce que, demain, ça peut être la guerre."
Parce que, pendant des années, les Libanais ont vécu au jour le jour, sans savoir de quoi serait fait demain. Les cicatrices laissées par des années de guerre et de déchirures sont profondes.
Alors, à la question: la paix est-elle possible? ceux à qui j'ai demandé ont été incapables de répondre. Cela demande une vision du futur à trop longue échéance...
SOLITUDE ET MENSONGES
"Tu voyages seule?" Comment de fois ai-je entendu cette question, de Montréal à Amman!
La réponse a beaucoup varié. C'est si difficile pour les gens de comprendre que je voyage seule (sans être une espionne ou je ne sais quoi), que j'ai pris l'habitude, à certains endroits, de répondre: " non, mes amis voulaient aller au musée, je me promène en les attendant". La fois où j'ai le plus menti, c'est durant la traversée Beyrouth-Amman, à un Jordanien catholique (les catholiques demandent toujours: êtes-vous catholique?, alors que les autres se disent seulement chrétiens. Mais tout le monde demande toujours la religion de son interlocuteur, peu importe le pays. Ca fait partie du problème...). Il a vu mon alliance (que j'avais pris soin de remettre en quittant Beyrouth) et m'a posé des questions. Quand on ment à la première question, c'est difficile d'esquiver les autres.
Ainsi, je suis mariée depuis un an, mon mari est parti à Amman une journée avant moi parce qu'il y fait du business. Je ne pouvais pas l'accompagner, j'avais un brunch dominical dans la famille d'une cousine mariée à un Libanais. S'il est beau? Oui, bien sûr! (et je dois rougir en répondant, en plus...) Non, pas d'enfant, mais on espère en avoir bientôt. Pas de maison encore, le marché de l'immobilier étant ce qu'il est. Ce que je fais dans la vie? Je travaille dans l'édition, la correction, la littérature, vous voyez?
En sortant de la voiture, il m'a fait une prédiction, sur le ton d'un oracle. Mon mari et moi auront deux enfants. Un garçon et une fille.
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Je n'ai jamais ressenti de solitude, le fait de voyager seule ne m'a pas empêcher de faire quoi que ce soit. Cela n'a jamais été un obstacle ou un danger.
Peut-être parce que, au fond, on n'est jamais vraiment seul.
En Syrie, j'ai voyagé avec une Française. Ensuite, quand je me suis retrouvée seule, j'ai visité Maalula avec trois Indonésiens (l'un d'eux m'a pratiquement sauvé la vie. C'est à ce moment que je me suis juré de ne plus grimper dans des endroits d'où je ne peux pas redescendre toute seule). A Beyrouth, j'ai rencontré tout un groupe d'amis. En Jordanie, j'ai fait le voyage Amman-Petra avec trois Français, ce qui m'a permis de manger avec eux les deux soirs où j'y étais. En Israël, j'ai rencontré une Américano-Israélienne, une Franco-Israélienne et des kibboutzniks.
J'ai demandé mon chemin à d'innombrabres personnes, j'ai fait confiance à de purs étrangers qui m'ont toujours aidée.
Je n'ai aucun regret d'être partie seule. Au contraire!
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Merci d'avoir lu mes posts-fleuves. A mon arrivée, j'essaierai de nouveau de poster des photos.